KAZAKHSTAN Workers Rise Up Against Corrupt Regime
Nous publions les articles parus dans La Tribune des travailleurs (France)
Le doublement du prix du litre de gaz, fin décembre, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Dès le 2 janvier, dans l’ouest industriel de cette ancienne république soviétique, la population – et en première ligne, la classe ouvrière – s’est rassemblée, a établi ses revendications. Dans les jours qui ont suivi, les mines et les entreprises d’hydrocarbures ont débrayé les unes après les autres. Déstabilisé, alternant répression sanglante et mesures censées apaiser la colère populaire, le pouvoir a fait appel au régime de Poutine en Russie pour l’envoi de forces spéciales de répression. À l’heure où nous écrivons, nul ne sait ce qu’il adviendra de cette révolte massive. Une chose est certaine : malgré trente années de privatisations mafieuses, de répression anti-ouvrière conduites par les anciens dirigeants du parti de la bureaucratie soviétique, qui ont vendu le pays aux multinationales : la classe ouvrière de l’ancienne URSS est debout et elle combat.
Dominique Ferré

De nos correspondants
Depuis le 2 janvier, les travailleurs et les habitants de la région de Manguistaou (à l’ouest du Kazakhstan) ont organisé des rassemblements massifs pour l’annulation du doublement du prix du gaz, mais aussi pour l’augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail. Les 3 et 4 janvier, de nouveaux manifestants ont renforcé les rassemblements et des manifestations similaires ont eu lieu dans d’autres régions, dans les villes d’Atyraou, d’Astana, d’Aktioubé, d’Almaty et d’Ouralsk.
À Janaozen et Aktaou, où tout a commencé, les manifestants ont dressé des tentes et des yourtes sur les places centrales, indiquant qu’ils avaient l’intention de rester. On note une politisation des discours : en plus de scander « Le gaz à 50 tengués ! » (la monnaie nationale ndlr), les jeunes crient de plus en plus : «Shal Ket !» (Dégage, le vieillard!) adressé au bourreau de Janaozen, l’exprésident Nazarbaev.
Dans les villages du district de Manguistaou, les ouvriers du pétrole et les habitants ont tenu des meetings de rue. La population fournit de la nourriture aux manifestants et a collecté plus d’un million de tengués pour les grévistes.
Apprenant que des avions militaires transportant des forces spéciales étaient arrivés, les travailleurs ont bloqué l’aéroport régional. Tout le monde a en mémoire le massacre de Janaozen (voir Repères).
Inquiète de la tournure des événements, l’administration présidentielle a tenté d’apaiser les manifestants, promettant de baisser le prix du gaz de 120 à 90 tengués.
Mais lors du rassemblement d’Aktaou, le dirigeant d’un syndicat indépendant, Amin Yeleousinov (emprisonné en 2017 après un procès truqué), a appelé les travailleurs rassemblés à rejeter cette aumône.
Partout, dans les usines et les manifestations, personne ne croit aux explications du président Tokayev. D’autant que les hauts fonctionnaires des akimats (conseils) régionaux disent eux-mêmes qu’ils ne peuvent influer sur les prix du gaz et du carburant…
Alors, les arrestations « préventives » de militants ont commencé pour tenter d’empêcher les rassemblements de masse. Car les déclarations officielles ont rendu les gens encore plus furieux.
Le mouvement a commencé par une protestation contre le doublement du prix du gaz, puis les collectifs de travailleurs en ont profité pour faire valoir leurs revendications : augmentation des salaires de 100 %, annulation des mesures de déréglementation et une vieille revendication : liberté de constituer des syndicats indépendants.
Dans les mines, les collectifs de travailleurs ont commencé à se joindre aux protestations, débrayant les uns après les autres.
Le 3 janvier, la grève est générale dans la région de Manguistaou. Le 4, elle s’est étendue à la région voisine d’Atyraou, où les travailleurs sont très inquiets des vagues de licenciements annoncées.
Déjà, en décembre, 30000 travailleurs ont été licenciés sous prétexte du ralentissement des activités minières, dont l’épuisement est annoncé pour 2030. Le 4 janvier, les ouvriers du pétrole de Tengizchevroil (qui travaillent pour une entreprise américaine) se sont mis en grève à 75 %. Ils ont été rejoints plus tard dans la journée par des ouvriers du pétrole des régions d’Aktioubé et de Kyzylorda.
Dans la soirée du 4 janvier, la grève s’est étendue aux mineurs d’ArcelorMittal Temirtaou, dans la région de Karaganda à l’est du pays, et aux fondeurs et mineurs de cuivre de la société Kazakhmys. Là encore, les revendications portent sur l’augmentation des salaires, l’abaissement de l’âge de départ à la retraite, le droit à constituer des syndicats et le droit de faire grève.
Le 4 janvier, la grève illimitée a commencé à Atyraou, Ouralsk, Aktyoubinsk, Kyzylorda, Taraz, Taldykorgan, Turkestan, Shymkent, Ekibastouz et à Almaty (Alma-Ata en russe, l’ancienne capitale), où des manifestants ont temporairement pris d’assaut l’akimat (conseil municipal). Cela a été le prétexte pour le président pour décréter l’état d’urgence.
Dans le même temps, il a limogé tout le gouvernement et symboliquement « renvoyé » l’ex-président Nazarbaev du Conseil de sécurité nationale. Mais ces annonces n’ont pas mis fin aux protestations.
Le 5 janvier, en effet, la protestation a atteint les districts du nord et de l’est du Kazakhstan : Petropavlovsk, Pavlodar, Oust-Kamenogorsk, Semipalatinsk. Le même jour, à Aktobé, Taldykorgan, Shymkent et Almaty, les manifestants ont tenté de prendre d’assaut les bâtiments des akimats (conseils) régionaux.
À Janaozen, épicentre de la mobilisation, les travailleurs dans les rassemblements ont formulé de nouvelles exigences : démission du président et de tous les dignitaires du régime, rétablissement de la Constitution de 1993, liberté de constituer partis et syndicats, libération des prisonniers politiques et arrêt de la répression. Il y a également des tentatives sur le terrain de créer des comités et des conseils pour coordonner la lutte.
Dans la province de Manguistaou, la mobilisation est restée pacifique: les soldats ont refusé de disperser les manifestants. Mais dans la « capitale du sud » (Almaty), dès la nuit du 5 au 6 janvier, les forces spéciales ont été déployées pour « nettoyer » l’aéroport et les quartiers occupés par les manifestants. Bien entendu, notamment à Almaty, où les travailleurs sont moins concentrés et où agissent des forces de l’opposition « libérale » et des groupes religieux et nationalistes qui cherchent à jouer leur propre partition.
La répression est brutale. La police d’Almaty annonce : « La nuit dernière, les forces extrémistes ont tenté de prendre d’assaut les bâtiments administratifs, le département de la police de la ville d’Almaty, ainsi que les départements locaux et les commissariats de police. Des dizaines d’assaillants ont été éliminés. » Il y aurait déjà des dizaines de morts parmi les manifestants. Comme il l’avait fait à Janaozen en décembre 2011, le régime a coupé tout le réseau Internet et téléphonique, rendant impossible les communications directes.
Documents
Extraits d’un appel du Mouvement socialiste du Kazakhstan (SDK)*
« Le risque est grand que toutes les protestations et les grèves soient violemment réprimées. Il est donc urgent de former des comités d’unité d’action dans les entreprises comme dans les localités pour structurer une résistance organisée à la terreur militaro-policière. Nous avons également besoin du soutien de l’ensemble du mouvement ouvrier et communiste international (…).
Arrêt immédiat de la répression contre le peuple et retrait des troupes !
Démission de tous les responsables du régime Nazarbaev, y compris le président !
Libération de tous les détenus politiques !
Droit de constituer nos propres syndicats et partis ; droit de grève et de réunion !
Légalisation des activités du Parti communiste du Kazakhstan et du Mouvement socialiste du Kazakhstan (interdits) !
Nous invitons tous les travailleurs du pays à reprendre la revendication des travailleurs du pétrole assassinés à Zhanaozen (en 2011 – ndlr) : nationalisation, sous le contrôle des collectifs de travail, de toute l’industrie minière et pétrolière du pays !
Le 5 janvier 2022 »
* Organisation qui se réclame des travailleurs et du socialisme.
Extraits d’une déclaration des partisans en Russie du Comité d’organisation pour la reconstitution de la Quatrième Internationale (CORQI)
«La lutte des travailleurs du Kazakhstan est notre lutte !
(…) La principale raison du mécontentement, c’est l’alliance de classe au pouvoir entre oligarques, mafieux et bureaucrates, dont beaucoup sont issus de la nomenklatura soviétique, y compris Nazarbaev lui-même, le bourreau de Janaozen. Depuis trente ans, ils pillent les biens de l’État, détruisent les conquêtes de la révolution d’Octobre. Par sa politique antisociale et anti-ouvrière, cette bande fait chaque jour les poches des travailleurs du Kazakhstan et n’a jamais hésité à répondre à coups de matraque policière au mécontentement des travailleurs. Et même à les massacrer, comme ce fut le cas lors la grève des travailleurs du pétrole à Janaozen en 2011. (…) La lutte des travailleurs du Kazakhstan a un contenu international. C’est une révolte contre les conséquences de la crise du système capitaliste fondé sur la propriété privée des moyens de production. La lutte des travailleurs du Kazakhstan est la lutte des travailleurs de tous les pays ! Nous, les partisans russes du CORQI, exprimons notre solidarité inconditionnelle avec la mobilisation des travailleurs du Kazakhstan dans la lutte pour leurs droits.
Le 6 janvier 2022 »
Repères
Kazakhstan
Le Kazakhstan est la plus vaste république ex-soviétique d’Asie centrale. Ses 20 millions d’habitants représentent une population multiethnique (Kazakhs, Russes, Ukrainiens et aussi les descendants des peuples déportés par Staline : Allemands de la Volga, Tatars, Coréens, etc.).
La classe ouvrière
La classe ouvrière est concentrée dans de gigantesques entreprises d’extraction des hydrocarbures et dans les mines, privatisées dans les années 1990 au profit des grandes multinationales américaines et européennes.
Le massacre de Janaozen
Tout au long de 2011, des milliers d’ouvriers du pétrole de l’ouest du pays font grève pour que soit reconnu leur syndicat indépendant, rejetant le vieux syndicat intégré à l’État. Le 16 décembre 2011, la police tire sur les grévistes dans la ville de Janaozen, faisant plus de soixante-dix morts. Dans les dix années qui suivirent, une nouvelle loi a permis de délégaliser des dizaines de syndicats, sans pour autant pouvoir empêcher le développement des grèves.
Nazarbayev…
Premier secrétaire du Parti communiste du Kazakhstan et membre du bureau politique du PC de l’Union soviétique, Noursoultan Nazarbaev est devenu président du Kazakhstan indépendant en 1991. Réprimant toute opposition d’une main de fer, il a littéralement vendu le pays aux multinationales. Remplacé en 2019 à la présidence par l’un de ses proches, Tokayev, il reste président du Conseil de sécurité nationale.
… et ses amis
Ils se sont tous pressés chez Nazarbaev pour le plus grand intérêt de leurs multinationales : Obama, Sarkozy, Hollande et Macron, mais aussi l’ancien Premier ministre « socialiste » britannique, devenu « conseiller spécial » du dictateur, moyennant rétribution.