URGENT

ÉTATS-UNIS  « Une grève historique » 

Face à l’inflation, pour arracher au patronat des augmentations de salaire, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à recourir à la grève. 

Aux États-Unis, le 14 septembre à minuit expirait la convention collective de 150 000 ouvriers des « trois géants » de l’industrie automobile (Ford, General Motors et Stellantis). Faute d’accord entre représentants des patrons et du syndicat United Auto Workers (UAW), les syndiqués avaient plébiscité à plus de 96 % le recours à la grève lors des consultations internes, imposées par les lois antisyndicales. 

Les travailleurs veulent 46 % d’aug- mentation, l’égalité des salaires et la di- minution du temps de travail sans perte de salaire. Les travailleurs le savent : les « trois géants » ont cumulé, en dix ans, 250 milliards de dollars de profit. 

Alors, à l’appel de la direction de UAW, la grève a commencé, comme grève partielle dans trois usines où travaillent 13 000 des 150 000 syndiqués. Partout, des piquets se mettent en place. Et cela alors que la grève se poursuit dans d’autres corporations, comme parmi les 100 000 acteurs et scénaristes de Hollywood, ou se prépare, comme parmi les 60 000 travailleurs hospitaliers de la compagnie Kaiser. 

Comme toute grève, elle est confron- tée à des obstacles. Mais cette grève « historique », selon la presse, marque déjà la situation américaine, et donc internationale. 

Alors que Biden, inquiet, martèle que « personne ne veut de grève », selon un sondage CNN (14 septembre), à la question : « Quel camp soutenez- vous ? », 75 % des personnes interrogées répondent « le syndicat » et 19 % seulement « les patrons ». 

Avec nos correspondants aux États-Unis 


« On doit se battre pour arracher quelque chose »

Sur les piquets de grève, des travailleurs en colère et déterminés

Shawn Fain, le président de UAW, n’a pas exclu d’étendre la grève si aucun accord n’est trouvé. Fain – qui demande désormais 40 % d’augmentation (et non les 46 % initiaux) – s’est vu proposer 21 % par les patrons de Stellantis et leur a répondu : « On ne veut même pas en entendre parler » (CBS, 17 septembre).

L’inquiétude est grande au sommet. Biden, marchant sur des œufs, a déclaré le 15 septembre que « personne ne veut de grève. Mais je respecte le droit des travailleurs (de faire grève) et je comprends leur frustration ». S’il estime que les patrons ont « fait des offres significatives », il ajoute qu’« ils devraient aller plus loin ».

Si Biden s’exprime ainsi, ce n’est pas parce qu’il serait « le président le plus favorable aux travailleurs », comme le prétend la direction de la centrale syndicale, l’AFL-CIO, mais parce qu’il sait à quel point cette grève menace de faire tache d’huile, faute d’accord.

Alors, tout l’establishment du Parti démocrate – l’un des deux partis de la bourgeoisie, avec les républicains – est mis à contribution pour que cette grève s’arrête au plus vite. De Bernie Sanders et la pseudo « gauche socialiste » du Parti démocrate jusqu’à Obama. Ce dernier vient de rappeler à General Motors et à Chrysler qu’en 2008 il leur a fait cadeau de 62 milliards de dollars de fonds publics pour les « sauver » de la crise.

Mais sur les piquets de grève, les travailleurs sont déterminés.

« On nous a dit qu’on était “essentiels”, alors on est venus travailler pendant le Covid. C’est grâce à nous que l’entreprise a fait de gros bénéfices », explique un ouvrier de l’usine Jeep à Toledo.

Anthony, ouvrier de l’usine d’assemblage de Ford à Wayne (Michigan) était de repos lorsque la direction du syndicat a appelé à la grève dans son usine, jeudi après minuit. Il est parti en trombe rejoindre le piquet de grève : « On doit se battre pour arracher quelque chose. »

Les grévistes sont parfaitement au courant des dividendes record versés aux actionnaires par les « trois géants » : « Ils peuvent se permettre de nous accorder ce que nous demandons », entend-on partout.

La stratégie de la direction de UAW fait débat : pour beaucoup de travailleurs, la décision de la nouvelle direction du syndicat de ne pas céder devant les exigences des patrons est une bonne chose.

Un responsable syndical, depuis vingt ans chez General Motors, tire le bilan de la politique de l’ancienne direction syndicale qui acceptait tout : « Nous n’avons fait que reculer au cours des vingt dernières années. »

Le choix de la direction de UAW de commencer par une grève partielle (limitée à trois usines dans lesquelles travaillent 13 000 des 150 000 syndiqués) est soutenu par certains. Comme Carlos, trente-cinq ans chez Ford, qui estime que « cette stratégie permet de faire durer le fonds de grève plus longtemps ».

Avis qui n’est pas partagé par Marie, ouvrière chez Ford dans le Michigan depuis vingt-sept ans. C’est sa « première grève ». Elle « espérait une grève plus large, avec l’ensemble des 146 000 travailleurs des trois groupes ». Mais, selon elle : « Beaucoup de choses peuvent encore arriver… »
Avec nos correspondants