RUSSIE « À bas la mobilisation ! »

Le 21 septembre, Poutine a décrété la « mobilisation partielle » de 300 000 réservistes, envoyés en Ukraine. Faisant allusion à l’arme nucléaire, il a ajouté : « Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition. »
L’offensive de l’armée ukrainienne, lourdement armée par l’OTAN, a provoqué ce qu’attendait l’administration américaine : une nouvelle escalade vers un conflit généralisé. L’annonce de la mobilisation et sa mise en œuvre immédiate ont provoqué un tremblement de terre dans toute la Russie. Dès le 21 septembre, des appels à se rassembler ont circulé. Des milliers, peut-être des dizaines de milliers de jeunes, de femmes et de travailleurs se sont rassemblés au cri de « Non à la guerre ! ». Le site OVD-info a recensé au moins 1 386 arrestations. Reportage avec nos correspondants en Russie.
Le 21 septembre, la guerre est entrée dans chaque foyer russe
Le 21 septembre, la guerre est entrée dans chaque foyer. Dès le discours de Poutine, des occurrences ont battu des records sur les moteurs de recherche sur Internet : « Comment se casser un bras », « Comment quitter le pays »… mais aussi « révolution ». Le 21, puis le 22, des kilomètres de files de voitures ont été observés aux postes-frontières entre la Russie et la Géorgie, le Kazakhstan et la Mongolie, pour échapper à la mobilisation. Personne en revanche ne franchira la frontière entre la Russie et les États baltes, tous membres de l’Union européenne et de l’OTAN. « Chaque citoyen est responsable des actes de son État » et l’Estonie ne donnera pas l’asile aux Russes fuyant la mobilisation, a osé déclarer la Première ministre de l’Estonie, Kaja Kallas.
Les exemptés
La Douma (Parlement) a publié la loi sur la mobilisation partielle et aggravé les peines de prison pour ceux qui refusent le service militaire. En revanche, elle a décrété que députés fédéraux, régionaux et municipaux et hauts fonctionnaires seront exemptés, sans parler des oligarques. Le mouvement d’opposition Vesna écrit : « Les hauts fonctionnaires qui crient à la mobilisation resteront bien au chaud dans leurs fauteuils, et bien vivants. Ce sont eux qui devraient être mobilisés et envoyés en Ukraine : qu’ils aillent mourir pour leurs folies, plutôt que d’envoyer des gars ordinaires à la mort. »
« Que signifie la mobilisation pour le Russe moyen ? »
L’Union des marxistes, une des organisations ouvrières opposée à la guerre, explique : « Que signifie la mobilisation pour le Russe moyen ? Pour le jeune qui, ayant obtenu un diplôme après avoir été contraint de payer l’université privatisée, n’arrive pas à trouver un emploi ? Pour le père d’une famille de deux enfants, dont le salaire n’est pas payé depuis le début de l’été ? Que signifie la mobilisation pour l’infirmière qui, depuis des années, est contrainte de faire des heures supplémentaires à cause du manque de personnel ? Cela signifie que l’État bourgeois n’a rien d’autre à offrir à ses citoyens que de devenir des boucliers humains pour protéger les portefeuilles des grands patrons et des députés, qui, eux, sont exemptés. »
Les travailleurs raflés dans les usines
Dès le 21 septembre, les hommes sont convoqués aux Voenkomat (bureaux d’enrôlement). À Tambov, explique une femme : « Les forces de l’ordre sont venues au bureau où travaille mon cousin et ils ont fait monter les employés dans un minibus pour le bureau d’enrôlement militaire. » À Sourgout : « Les convocations ont été distribuées dans les foyers. Les gens sont ramassés dans les usines et les entreprises. » En Yakoutie : « Ils ont pris mon père, il a 58 ans. Ils sont venus la nuit pour lui remettre la convocation, et maintenant, il est en route pour l’unité militaire. » En République de Bouriatie : « Dans tous les villages éloignés et à Oulan-Oudé, ils ont distribué des convocations. Même des sexagénaires l’ont reçue. »
Le coût de la guerre
Selon le Moscow Times, la mobilisation coûtera l’équivalent de neuf fois de budget annuel de l’oblast (région – ndlr) de Mourmansk (extrême nord-ouest) ou de cinquante-six fois le budget annuel de la République de Kalmoukie (sur les bords de la mer Caspienne). D’autre part, Andreï Kartapolov, chef du comité de la défense nationale de la Douma, a tenu à préciser – dans un pays où des millions de travailleurs sont contraints de s’endetter – que « les citoyens mobilisés continueront à payer leurs dettes hypothécaires ».
Les protestations
Dès le 21, les appels à manifester à 19 heures circulent : « Avec l’ensemble du mouvement anti-guerre, nous lançons un appel aux militaires russes : refusez de participer à la guerre ! Non à la moguilisation ! » (moguila : la tombe). À Moscou, des milliers de jeunes et de moins jeunes se sont rassemblés sur l’Arbat (vieille rue du centre historique). En rangs serrés, ils scandent « Non à la guerre ! ». La police arrête un par un les manifestants, avec la violence habituelle. Malgré la répression, des centaines de jeunes descendront l’Arbat avec le même slogan. À Ijevsk (Oural), des manifestants se sont spontanément rassemblés devant un musicien de rue qui chante des chansons d’Egor Letov : à chaque couplet anti-guerre, les gens applaudissent. Place Lénine, à Novossibirsk, selon les médias locaux, environ cent personnes sont venues protester, tout comme dans l’enclave russe de Kaliningrad (étranglée par le blocus de l’OTAN). Dans la République caucasienne du Daghestan, aux abords du village de Babayourt, des centaines d’habitants ont bloqué la route pour tenter de bloquer les minibus remplis de réservistes. Les autorités d’Ouzbékistan (ancienne république soviétique d’Asie centrale d’où sont originaires des centaines de milliers de travailleurs immigrés) ont ordonné à leurs ressortissants en Russie de ne pas participer aux rassemblements « illégaux ».
Les femmes au premier rang
Oulan-Oudé, Bouriatie, le 21 septembre : « Non à la mobilisation ! » ; « N’envoyez pas nos fils, nos maris et nos pères tuer d’autres fils, maris et pères ! »
Partout, les femmes, mères et épouses de réservistes sont au premier rang. À Saint-Pétersbourg, le 21 septembre, en fin d’après-midi, elles sont rassemblées sur la place Saint-Isaac, encerclées par la police. Elles scandent « Non à la guerre ! » face aux policiers qui cherchent à les disloquer. Inimaginable il y a encore vingt-quatre heures : un rassemblement de femmes contre la guerre a eu lieu à Grozny, capitale de la Tchétchénie. Dans cette république caucasienne tenue d’une main de fer par le mafieux Ramzan Kadyrov, protégé du Kremlin. C’est le premier rassemblement de protestation depuis 2004 ! Selon la chaîne 1ADAT, les cent trente femmes rassemblées près d’une mosquée ont été arrêtées avant même le début de la manifestation. Parmi elles, des mères de Kadyrovtsy, soldats d’élite de l’armée privée que Kadyrov a envoyée en Ukraine.
Dans les syndicats
Parmi les premières réactions d’organisations syndicales indépendantes, citons celle du syndicat Solidarité universitaire : « Il nous est impossible de rester silencieux (…). Nous avons exprimé notre position à maintes reprises : nous sommes catégoriquement opposés à une action militaire agressive, quelle que soit sa forme. Nous sommes catégoriquement opposés à toute forme de propagande militariste, en particulier dans les établissements d’enseignement (…). C’est par la lutte, et pas dans une guerre fratricide, que nous obtiendrons nos droits ! » La mobilisation est le prétexte pour frapper toujours plus le mouvement ouvrier. Un tribunal de Moscou, le 22 septembre, a prolongé une nouvelle fois la détention provisoire de Kirill Oukraïntsev, militant du syndicat des livreurs Kourier, arrêté fin avril pendant la grève des livreurs à Moscou. Sa demande d’être placé en résidence surveillée, alors que sa santé s’est fortement détériorée en prison, a été à nouveau rejetée.
La « dénazification »
Poutine justifie son agression militaire par la « dénazification » de l’Ukraine, en référence aux groupes néonazis bien réels qui pullulent, jusque dans l’armée, en Ukraine. Comme elles pullulent également en Russie, jusque dans l’appareil d’État. Mais voilà que Poutine et Zelensky ont procédé à un échange de prisonniers, grâce à l’entremise « humanitaire » du président turc Erdogan et du prince héritier saoudien Ben Salmane. Pour récupérer son ami, l’oligarque ukrainien Viktor Medvedchouk (parrain d’une de ses filles), Poutine a rendu à Zelensky 215 combattants, dont 108 membres du régiment néonazi Azov. Commentaire d’une femme, parmi des centaines d’autres, sur Internet : « Ces salauds envoient nos enfants en Ukraine, soi-disant pour “lutter contre les nazis” alors qu’ils les font libérer pour sauver leurs copains ! »
Ziouganov derrière Poutine
Comme d’habitude, le dirigeant du Parti « communiste » Guennadi Ziouganov soutient Poutine et déclare, en référence à la lutte du peuple soviétique contre le nazisme : « Chaque génération a droit à son 1941 (date de l’attaque nazie contre l’URSS – ndlr) mais aussi à son 1945. » Un militant du Parti ouvrier révolutionnaire commente : « Léchant les bottes de sa propre bourgeoisie et soutenant toutes ses décisions, même les plus impopulaires parmi les travailleurs, Ziouganov a oublié un petit détail : le caractère de classe de l’URSS, premier État ouvrier du monde. Aujourd’hui, le caractère de classe de l’État est différent. D’ailleurs, selon le point 2 du décret présidentiel, les citoyens enrôlés dans l’armée pourront perdre leur emploi. On appréciera cette délicate attention de l’État pour ses propres soldats ! Ce n’est pas en 1941, mais en 1914 que nous avons vu de telles choses dans le passé. Mais 1914 fut suivi par l’effondrement du tsarisme et la révolution d’Octobre. »