CHILI Démocratie et dictature face à face

Le 11 décembre dernier, le Sénat a voté une accusation constitutionnelle » contre l’ex-ministre de l’Intérieur, Andrés Chadwick, à la suite des fortes pressions pour la fin de l’impunité face aux meurtres, tortures, emprisonnement des manifestants (une trentaine de morts, plus de 300 grièvement blessés aux yeux dont deux devenus aveugles, des milliers de détenus). Tous les membres du gouvernement ont couru pour réconforter Chadwick qui, lors de la conférence de presse, a souligné son « innocence », se prétendant victime d’un procès politique ». Le 12 décembre, à la Chambre des députés, une « accusation constitutionnelle » contre le président Piñera a été rejetée par 76 voix contre 70, grâce aux voix de la Démocratie chrétienne, du Parti radical et des « indépendants ». Cela dit, cette initiative lancée par le Frente Amplio (1) et le Parti communiste visait avant tout à donner l’illusion qu’il était possible de destituer « démocratiquement » Piñera… dans le cadre d’une Constitution antidémocratique (2), puisqu’une telle procédure, si elle avait été adoptée par la Chambre, devait ensuite être validée par le Sénat, où les partisans de Piñera contrôlent la majorité des votes.
Quelle est la signification de ces deux événements du point de vue des intérêts de l’immense majorité de la population, mobilisée depuis la mi-octobre ?
C’est le choc entre la démocratie, d’une part, représentée par la mobilisation de millions pour leurs revendications, pour leurs droits, et qui sont le véritable peuple du Chili… et la dictature, d’autre part, celle qui représente les 140 grandes familles qui règnent sur le pays et concentrent entre leurs mains 30 % du PIB, et leurs mercenaires qui sont prêts à tout pour maintenir Piñera au pouvoir, alors qu’il est crédité de 4 % de sympathie dans les sondages. Cette dictature qui, après la disparition de Pinochet, a revêtu un masque « démocratique », sous la protection de 60 000 carabiniers armés jusqu’aux dents. Une force de police dont la seule mission a été de réprimer toute mobilisation sociale depuis trente ans, et qui, face à la mobilisation révolutionnaire de ces dernières semaines, ne se conduit pas autrement que comme la force de répression d’une dictature.
Dans ces conditions, la lutte du peuple, des étudiants, des travailleurs, des femmes, des retraités se fraye son chemin et dégage des leçons. L’une des premières leçons, c’est la nécessité d’avancer vers la constitution d’une organisation indépendante de tous les partis qui ont siégé au Congrès. Cette nécessité s’exprime dans la crise accélérée qui frappe tous les partis. Le Frente Amplio est le plus atteint : quatre organisations qui en étaient membres l’ont quitté et d’autres, sous la pression de leurs propres militants, vont probablement les suivre. Et cela parce que le Frente Amplio a été la principale planche de salut pour Piñera en signant « l’accord pour la paix et une nouvelle Constitution » (3) alors que les partis traditionnels étaient acculés.
Un autre enseignement qui se renforce chaque jour dans le cours de la mobilisation, c’est la nécessité d’un gouvernement qui soit capable de mettre en œuvre les revendications de la population. Sur cette voie, une discussion se mène dans les organisations populaires pour aller vers une Assemblée constituante. Bien sûr, les obstacles sont nombreux, mais pour mettre à bas le régime au service des 140 familles, assis sur la répression et la servilité des partis existants, il est nécessaire d’imposer l’Assemblée constituante maintenant, afin que se constitue un gouvernement responsable devant elle composé de représentants de la population exploitée. Pour ce faire, il est indispensable que s’organisent des comités de travailleurs pour l’Assemblée constituante tout de suite. Le combat pour un gouvernement qui rompe avec le régime économique, social et politique actuel est une condition nécessaire pour établir une véritable démocratie.
13 décembre 2019 De nos correspondants de l’Alliance des travailleurs et des étudiants
(1) Le Frente Amplio (FA, Front large) est une coalition de groupes constituée en 2017 et se présentant comme une alternative de gauche au PS et au PC.
(2) L’actuelle Constitution chilienne est celle de 1980, c’est-à-dire celle de la dictature de Pinochet.
(3)Accord signé le 16novembre par le Frente Amplio, le PS et d’autres, conditionnant à un référendum en avril 2020 une hypothétique modification cosmétique de la Constitution.