URGENT

SRI LANKA  Délégation au FMI : « Nous avons été reçus, nous rendons compte de notre mandat »

Le 21 septembre 2022, une rencontre a eu lieu entre des représentants du FMI à Washington et une délégation de militants des États-Unis et de France. Cette rencontre faisait suite à la réponse du bureau du FMI à Paris : « C’est Washington qui décide».

La délégation américaine était composée de Baldemar Velasquez, President, Farm Labor Organizing Committee, Executive Board member, AFL-CIO (for id only); Donna Dewitt, Past President, South Carolina AFL-CIO (for id only); Gene Bruskin, Veteran labor organizer, National Writers Union; Alan Benjamin, OPEIU 29 delegate to San Francisco Labor Council, AFL-CIO (for id only); Editor, The Organizer Newspaper. 

La délégation française (qui s’était rendue au bureau du FMI de Paris cinq jours plus tôt) était composée d’André Yon, syndicaliste, membre du bureau national du POID, Jean-Pierre Barrois, enseignant du supérieur retraité, Dominique Maillot, contrôleur du travail, syndicaliste, Paul Uhalde, étudiant FJR, Phillipe Bottet, syndicaliste postier, Jean-Claude Guiguet, enseignant syndicaliste et de quatre militants sri-lankais résidant à Paris. 

Le FMI était représenté par Monsieur Masahiro Nozaki, chef de la mission du FMI au Sri Lanka. 

Au moment même où la délégation rencontrait des représentants du FMI, les manifestations reprenaient à Colombo. La population de toutes confessions religieuses, avec les partis politiques et les syndicats, est descendue dans la rue pour protester contre la montée des factures d’électricité. Elles ont connu une augmentation de 500 %. L’un des organisateurs de la manifestation a pris la parole : « Nous ne pouvons pas payer les factures. Nous n’avons pas d’argent. Nous ne sommes pas responsables de la dette engagée par l’État, de la corruption, du gaspillage. Par conséquent, nous ne paierons pas ces factures injustifiées. »

⦁ Dans sa présentation, M. Masahiro Nozaki fait notamment valoir qu’il s’est rendu à de nombreuses reprises au Sri Lanka depuis le mois d’avril 2002. 

C’est en effet à cette date que le gouvernement de l’ancien président Gotabaya Rajapaska a entrepris des discussions avec le FMI afin de « restructurer » la dette du pays qui s’élevait à 51 milliards de dollars. 

Les propositions du FMI demandant la privatisation des services publics, des licenciements massifs de fonctionnaires, la vente de vaste étendues de terrains publics et une diminution des dépenses sociales sont à l’origine des grèves générales des 28 avril et du 6 mai. Cette dernière, à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales, fut la plus importante depuis 1953. M. Nozaki a confirmé : « Comme vous le savez, nous avons atteint le 1er septembre un accord de référence pour un programme soutenu par le FMI » 

⦁ André Yon résume les raisons qui avaient amené à la constitution de la délégation : « En juillet, des militants Sri Lankais lançaient un appel à la solidarité avec le soulèvement du peuple. 512 militants du monde entier s’y sont associés. Dans cet appel international, nous affirmions : elle a raison, cette femme qui, pleurant la mort de son mari, après avoir dû attendre plus de 24 heures en faisant la queue devant une station-service, explique : « Ce n’est pas moi, ni mon mari qui avons contracté cette dette, mais c’est mon mari qui l’a payée de sa vie. Ce sont tous les régimes successifs qui ont contracté ces dettes et sont les seuls responsables de la mort de mon mari. On nous a volé notre pays ! » Au même moment à Colombo, le Trade Union Coordinating Center (TUCC) publiait dans un Manifeste les « propositions de la classe ouvrière pour la victoire du peuple » . On y lit « Tous les compromis ou contrats signés avec les pouvoirs étrangers privatisant ou louant les ressources doivent être abolis. Toutes les tentatives de réduire les dépenses publiques ou de réduire le nombre de fonctionnaires et de les licencier doivent cesser ». En septembre, un accord préliminaire a été signé entre le FMI et le gouvernement sri lankais. » 

⦁ Alan Benjamin pose alors une question : « Quel est le contenu exact de cet accord préliminaire? À notre connaissance, il n’est pas public dans sa totalité. Si nos informations ne correspondent pas à la réalité, pouvez-vous nous indiquer où l’on peut se procurer le document d’ensemble, intégrant au-delà des considérants généraux les mesures pratiques et techniques d’application du plan ? S’il s’avère que ce document d’ensemble n’est pas disponible pouvez-vous expliquer pourquoi un document qui engage l’avenir et la vie de millions d’hommes et de femmes est tenu secret ? Quelles en sont les raisons ? » 

⦁ M. Nozaki : « Je pense que vous voulez savoir pourquoi cet accord n’est pas public ». Cet accord préliminaire doit encore être soumis au conseil d’administration du FMI. Il « comprend les inquiétudes », mais explique que ce sont les autorités du Sri Lanka qui se réservent le droit de communiquer à ce sujet. Il confirme que le texte d’ensemble n’est pas public, indique qu’il est possible de se reporter au communiqué de presse publié par le FMI le 1er septembre. Il ajoute : « Cet accord avec les services du FMI inclut des mesures d’assainissement budgétaire, certainement. Nous avons des échanges avec les autorités sri lankaises pour voir de quelle façon nous pouvons communiquer sur cet accord ». 

⦁ Selon les informations dont dispose la délégation, le président du parlement Sri lankais a fait valoir que c’est à la demande du FMI que les termes de l’accord doivent être tenus secrets. 

⦁ Alan Benjamin poursuit en faisant état des interrogations soulevées par les organisations syndicales du Sri Lanka, en particulier par le Trade Union Coordination Center, cette vaste coalition syndicale qui unit les organisations du Sri Lanka : « Nous relevons notamment l’exigence d’une privatisation généralisée des services publics, des entreprises publiques. Quelles sont les entreprises dont le FMI exige la privatisation ? Pour quelle raison demandez-vous également une réforme du droit du travail et une réforme agraire ? Quelles sont-elles ? Le secteur du pétrole et de l’électricité fait également partie des secteurs concernés par l’accord. Dans quels termes ? Pourquoi les banques elles-mêmes devraient être privatisées ? Quelles sont vos décisions concernant l’électricité dont on sait que les prix ont été multipliés par trois depuis le 8 août ? Pourquoi poussez-vous – au nom de la restructuration de la dette – à ce que l’État ne paye pas sa dette aux fonds qui assurent la retraite des travailleurs ? » 

⦁ M. Nozaki explique : « Il n’y a pas de privatisation, il y a des problèmes économiques et des problèmes de gestion. Notre méthode est de procéder à des réformes des entreprises publiques selon l’article 4 de l’accord. Le gouvernement va adopter des diagnostics de corruption et des mesures pour combattre la corruption ». À ce propos, il précise que « les mesures envisagées devront répondre aux conventions des États-Unis ». Il poursuit : « Nous voulons contenir les risques budgétaires. Ce qu’il faut retenir, c’est que les entreprises publiques ont été une source principale de problèmes budgétaires. Ce qui, en définitive, nuit aux contribuables, à commencer par les plus défavorisés. ». Il ajoute : « Notre plan s’étend sur 4 ans ». 

⦁ Gene Bruskin souligne « Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires d’Alan Benjamin : le peuple du Sri Lanka ne doit pas supporter le fardeau du remboursement d’une dette qu’il n’a pas contractée et dont il n’a pas bénéficié. Je suis la situation au Sri Lanka de très près. Il faut s’assurer que la résolution des problèmes ne se fasse pas au détriment du peuple sri lankais, qui n’est pas responsable des décisions irresponsables de leurs dirigeants ». 

⦁ Donna Dewitt entend ce qu’explique le chef de la mission du FMI au Sri Lanka sur le fait d’aider les plus pauvres parmi les pauvres, mais se demande si les mesures d’austérité promues par le FMI pour faire face aux crises financières ne risquaient pas, au contraire, de ne faire qu’exacerber la pauvreté et l’oppression. 

⦁ En ce qui concerne, le secteur énergétique, M. Nozaki explique : « il y a besoin d’une réorganisation de fond en comble. Nous nous sommes concentrés sur la détermination des prix de l’électricité. Il y a une série de subventions énergétiques qui ont augmenté la dette. Cela fait partie des problèmes auxquels le Sri Lanka est confronté aujourd’hui. Donc pour la tarification des produits énergétiques, carburant, électricité, il faudrait en fait les aligner sur les prix de production de carburant et d’électricité. Cela aboutirait à une réduction des subventions et cela aurait un effet sur les consommateurs. » 

⦁ La délégation constate que l’on retrouve le discours qui a été utilisé pour démanteler les services publics dans le monde entier. Ceux-ci posent pour les institutions internationales des «problèmes budgétaires» puisqu’ils ne sont pas destinés à réaliser du profit. Quant à la suppression des subventions d’État au secteur de l’énergie, elle ne peut que se traduire par une hausse vertigineuse du prix de l’électricité, du gaz et du pétrole accablant toujours plus les populations. Comment ne pas comprendre que le prix de l’énergie « aligné sur le prix de production » signifie en réalité, après la suppression des subventions d’État, l’alignement sur les marchés financiers et la spéculation internationale ? Ce qui, dans le contexte de la guerre qui se généralise dans le monde, se traduit de manière immédiate par un désastre énergétique pour les populations ? La non-publication de l’accord préliminaire vise-t-elle à camoufler l’importance des destructions programmées ? » 

⦁ Baldemar Velasquez fait part de son expérience : « La soif de profit des actionnaires l’emporte toujours sur les besoins des petits, des travailleurs. Il faut que les travailleurs au Sri Lanka puissent nourrir leurs familles, et c’est valable dans le monde entier, sur la planète entière. » 

⦁ Donna Dewitt insiste : « Les Sri lankais sont un peuple fier. Ils se sont exprimés en avril et en juillet. Il s’agit pour nous de les aider. » 

⦁ La délégation pose une autre question concernant la constitution à Colombo d’un comité de suivi de l’application de l’accord réunissant des représentants du FMI et les autorités du Sri Lanka. « De notre point de vue c’est une remise en cause de la souveraineté nationale du pays. Qui compose ce comité ? Quelles en sont les prérogatives ? » 

⦁ Pas de réponse de Monsieur Nozaki sur cette question. 

⦁ André Yon rappelle que l’on ne parle pas d’abstractions. Il s’agit du sort de la population qui souffre chaque jour davantage. Le pays est dans une situation catastrophique et ne saurait attendre 4 ans. La presse internationale relate les propos d’un ouvrier tamoul « Même si nous pouvons contrôler notre propre faim, nous ne pouvons pas dire à nos enfants : « Écoute petit, c’est tout ce qu’il y a à manger, maintenant va te coucher », n’est-ce pas ? ». D’ores et déjà, selon le FAO (organisme des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), 31 % des adultes sri lankais déclarent, comme lui, se priver de nourriture pour pouvoir faire manger leurs enfants. Il pose la question : « Dans ces conditions pourquoi conditionner un prêt à la restructuration de la dette ? Pourquoi ne pas annuler purement et simplement la dette qui étrangle le pays ? » 

⦁ M. Nozaki explique que les négociations en cours visent « à rendre la dette plus viable ». Il ajoute: «Le FMI se situe à un niveau macroéconomique pour régler les problèmes à la source. Il ne peut intervenir sur la dette elle-même. Le programme comporte des mesures d’ajustement macroéconomique qui sont douloureuses, certes, pour les plus pauvres et les plus fragiles. C’est pourquoi il faut s’occuper d’étendre des filets de sécurité dans l’objectif essentiel d’amortir le choc pour les plus fragiles. Pour ce qui concerne l’augmentation de la dette du Sri Lanka, c’est le résultat de la mauvaise gestion macroéconomique. Cela est aussi dû à des chocs extérieurs : n’oublions pas la pandémie, la guerre en Ukraine. » 

⦁ La délégation pose la question, si le FMI peut intervenir sur la restructuration de la dette, il pourrait très bien déclarer que celle-ci est égale à zéro. Comment serait-il possible de protéger les «plus fragiles» si des dizaines de milliards de dollars sont détournés pour rembourser une dette qui n’est pas celle du peuple ? Force est de constater que le FMI lui même reconnaît que des « mesures douloureuses seront mises en œuvre ». Et le FMI ne peut dégager sa responsabilité quant aux plans mis en œuvre pour répondre à ses exigences depuis des décennies et qui ont conduit au désastre actuel.

⦁ M. Nozaki conclut : « Nous avons mis en place des dialogues bilatéraux, multilatéraux, avec des organisations de la société civile, avec les partis d’opposition. Nous avons donc cherché à avoir un dialogue avec un large éventail de partenaires. Au Sri Lanka et à l’extérieur du pays. » 

⦁ André Yon conclut en soulignant qu’il ne revient pas à la délégation de parler au nom du peuple du Sri Lanka et de ses organisations : « Nous allons rendre compte de vos réponses. Cela afin que les organisations syndicales du Sri Lanka puissent prendre les décisions qu’elles jugeront nécessaires. Nous poursuivrons pour que s’exprime la voix de la solidarité internationale des travailleurs ». 

Paris, Washington, San Francisco, le 21 juin 2022