URGENT

NIGÉRIA « Que les organisations se rassemblent pour le socialisme, pour une société égalitaire »

Entretien avec le chanteur Africana, signataire de l’appel à la conférence mondiale contre la guerre et l’exploitation, pour l’Internationale ouvrière (Paris, 29-30 octobre) 

Africana, vous êtes un chanteur nigérian. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et vos chansons ? De quoi parlent-elles ? Qu’est-ce que vous défendez dans vos chansons ? 

— Je m’appelle Jibril Adewunmi, mais mon nom de scène est Africana. J’ai 32 ans. Je suis né et j’ai grandi à Bariga, un quartier populaire de Lagos. Mes parents, aujourd’hui décédés, étaient fonctionnaires. Je suis titulaire d’une licence en production animale. Mais j’ai choisi d’être artiste. Mes chansons sont inspirées par mon environnement immédiat, par ce que je vois autour de moi. Elles parlent du contexte politique et social de mon pays. Par exemple, une de mes chansons, Stand Up, dit : « Luttez pour vos droits / Pour un avenir meilleur / Tant de mensonges / Tant de corruption de la part de nos dirigeants / Alors que les masses meurent de faim. » 

Vous avez participé au mouvement #EndSARS en 2020. Que pouvez-vous nous dire sur ce mouvement, et plus généralement sur la situation actuelle des jeunes et des artistes au Nigeria ? 

— Avant le mouvement #EndSARS, tous les Nigérians, et surtout les jeunes, étaient harcelés par la police, et en particulier par la SARS (Special Anti-Robbery Squad, unité spéciale contre le vol). La SARS a été créée en 1992 (pendant la dictature militaire) pour lutter contre les vols et les enlèvements. Mais on en était arrivé à un point où, en tant que jeune, si vous étiez bien habillé ou si vous aviez une belle apparence, ils vous harcelaient pour vous extorquer de l’argent. Les jeunes se sont mobilisés contre cela. C’était une mobilisation massive. Le but était de se battre pour avoir un pays à nous. Mais cela a conduit, à Lagos, au massacre du péage de Lekki en octobre 2020. Ils nous ont dit de partir et, soudain, l’armée est arrivée et a ouvert le feu sur la foule. Beaucoup ont perdu la vie. 

La situation actuelle de la jeunesse nigériane est marquée par le chômage et le manque d’éducation. À cause de cela, certains jeunes sont impliqués dans des activités criminelles, et notamment dans la cybercriminalité. Mais si le gouvernement faisait quelque chose pour la population, par exemple en créant des emplois, tout cela diminuerait. Le gouvernement n’est pas de notre côté. Le problème vient d’en haut. Le mouvement #EndSARS est né en réaction à cela. 

Le mouvement #EndSARS n’était pas uniquement contre le harcèlement policier ; cela allait au-delà, non ? 

— Oui, c’était plus que cela. La situation se dégrade constamment. Il n’y a pas d’emploi. Pas de lumière stable ! Par exemple, en tant qu’artiste, si vous avez un studio et que vous avez besoin de travailler, vous devez vous procurer de l’essence (pour faire fonctionner le générateur et pallier le manque d’électricité). 

En parlant de l’essence, que pensez-vous du fait que le Nigeria, qui est un des plus gros exportateurs de pétrole, doive faire face à une pénurie de carburant ? 

— Le colonialisme et l’impérialisme ont affecté le Nigeria et l’Afrique en général. Ils ont affecté notre économie, notre politique, notre culture. Ils ont endommagé beaucoup de choses. Aujourd’hui, nous faisons l’expérience d’un « nouveau colonialisme », c’est-à-dire d’une situation où notre propre peuple – nous-mêmes ! – domine et opprime le peuple. 

Mais il y a toujours des entreprises étrangères (comme les compagnies pétrolières) qui profitent de la situation actuelle… 

— Il y a un dicton en langue yoruba qui dit : « Si le monde ne se fissurait pas, le lézard qui veut la noix de coco n’y entrerait pas. » La situation est liée au fait que nos propres politiciens en tirent profit. L’idéologie qui sous-tend l’impérialisme et le nouveau colonialisme, c’est le capitalisme ! Un petit nombre de gens ont tout ce qu’ils veulent au détriment des autres. Si le Nigeria ne sort pas du capitalisme, nous ne pourrons jamais sortir de cette situation. Nous ne pourrons jamais arranger les choses. 

Existe-t-il actuellement au Nigeria une organisation qui défend ce point de vue ? 

— Certaines organisations tentent de lutter contre cette situation, mais cela n’a rien donné jusqu’à présent. J’attends avec impatience que les organisations se rassemblent pour le socialisme, pour une société égalitaire, dans laquelle tout le monde serait traité de la même manière. 

Faites-vous vous-même partie d’une organisation, d’un syndicat ou d’un collectif ? 

— Je n’ai participé qu’au mouvement #EndSARS. Mais la situation au Nigeria nécessite un effort commun. C’est pourquoi j’ai signé l’appel pour la conférence internationale des travailleurs contre la guerre, l’exploitation et le travail précaire. Je l’ai fait parce que je veux du changement. Je veux être entendu.

Propos recueillis le 11 juin par Jeanne Sauvage 

Repères 

Le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique, avec 219 millions d’habitants, dont 40 % ont moins de 15 ans. Colonie britannique jusqu’en 1960, le pays dispose d’importantes réserves pétrolières exploitées par de grandes multinationales étrangères, dans lesquelles une classe ouvrière nombreuse et organisée travaille.