URGENT

AFRIQUE Les mercenaires de la société paramilitaire Wagner se déploient en Afrique noire

Chronique internationale parue dans la Tribune des travailleurs (France)

« À une époque où la vie d’un homme ne valait rien, sa mort valait beaucoup. » Ainsi apparurent les chasseurs de primes et le mercenariat, considéré comme le deuxième plus vieux métier du monde. Toutes les grandes puissances ont leurs « armées de l’ombre », chargées des basses besognes dans diverses régions du monde. 

Depuis quelques années, les parties en conflits armés engagent de plus en plus d’entreprises militaires et de sécurité privée, qui effectuent des missions traditionnellement réservées aux forces armées nationales. Cette situation entraîne souvent des problèmes de droits de l’homme, quand des exactions sont commises par des hommes en armes ne relevant d’aucune autorité officiellement reconnue. 

La privatisation de la guerre 

La privatisation de la guerre est devenue, depuis la fin de la guerre froide, un véritable « business » du capitalisme de notre époque. Les grandes puissances – en tête desquelles les ÉtatsUnis –, comme les pays qui n’ont d’autres moyens de se faire entendre que par la voix des armes, y ont recours. 

La société Wagner est l’une de ces sociétés militaires privées (SMP) qui défraient la chronique en ce moment, du fait des remous géopolitiques en Afrique francophone, zone habituellement contrôlée par la France et ses compagnies de légionnaires. On se souvient de La Légion saute sur Kolwezi » (1) et de Bob Denard (2) pour l’exécution des coups d’État et la mise en place de chefs d’État africains « choisis » par l’Élysée. 

Wagner est une société paramilitaire appartenant à l’oligarque russe Evgueni Prigojine, alias « le cuisinier de Poutine ». Cela en dit long sur les liens pouvant exister entre le pouvoir russe et les activités de cette société à travers le monde. 

La République centrafricaine et Wagner 

État failli depuis son indépendance en 1960, la République centrafricaine, constamment ébranlée par des coups d’État (3), n’a ni le contrôle de son intégrité territoriale, ni le contrôle des leviers du pouvoir. Elle est obligée de composer avec les forces internationales qui s’interposent entre les différentes milices rivales qui prennent le pays en otage. 

En 2013, la Seleka, un groupe de rebelles musulmans, s’empare du pouvoir et plonge le pays dans le chaos. La France, incapable de rétablir l’équilibre, se retire, mettant fin à son opération militaire « Sangaris ». Désespéré, le président Faustin-Archange Touadéra se tourne vers la Russie. Aujourd’hui, les hommes de Wagner sont omniprésents et « font le job », multipliant les affrontements entre mercenaires et rebelles… en échange de la mainmise sur les mines d’or et de diamants. 

La République centrafricaine ne serait-elle pas en train de « vendre le voleur pour acheter le sorcier » (proverbe africain) ? 

Tensions entre Macron et le Mali 

Au Mali, deux coups d’État ont eu lieu en l’espace d’un an. Du jamais-vu. Pourquoi ? Était-ce un sursaut patriotique d’une armée en guenilles, portée à bout de bras par l’armée française (4) et les armées des pays voisins dans des opérations de lutte antiterroriste qui n’en finissent plus ? 

Face au manque de résultats probants de l’armée française sur le plan sécuritaire, certains officiers supérieurs maliens se sont-ils sentis contraints, sous la pression populaire, d’insuffler une nouvelle politique ? 

À la tribune des Nations unies, le Premier ministre malien Maïga n’a pas hésité à parler « d’abandon en plein vol » par la France, qui menaçait de retirer ses troupes. Motif qui serait à l’origine du rapprochement du Mali avec le groupe Wagner, incompatible avec la présence des troupes françaises. 

La tension est montée de plusieurs crans entre la France et le Mali, Macron qualifiant de façon provocatrice le gouvernement malien de n’être « même pas un gouvernement » car issu d’un coup d’État. Comme si les gouvernements français n’avaient pas inspiré des dizaines de coups d’État militaires sur le continent africain depuis soixante ans ! 

Est-ce le début d’une nouvelle ère où l’opprimé ose se lever contre l’oppresseur ? Ou bien, derrière les mercenaires, se cachent-ils d’autres prédateurs ? L’avenir nous le dira.

Gérard Kabako 

(1) Titre d’un film consacré à l’intervention, en 1978, de la Légion étrangère dans la province sécessionniste du Katanga, au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo). L’intervention aboutit à un massacre et permit de rendre cette région riche en minerais au régime de Mobutu, protégé du gouvernement français.

(2)Mercenaire français, anticommuniste et lié aux services secrets français. Il participa à de nombreux coups d’État en Afrique, au service de la politique de la Ve République. 

(3) Dacko, président de la République à deux reprises ; Bokassa, qui se fit couronner « empereur » avec le soutien de Giscard d’Estaing ; Bozizé, placé au pouvoir par un coup d’État en 2003, etc. 

(4) L’armée française est présente au Mali depuis 2012, dans le cadre des « opérations antiterroristes » Serval, puis Barkhane.