URGENT

COLUMBIE « Depuis quarante ans, ministres, grands patrons et narcos gouvernent contre le peuple »

Confronté à un soulèvement ouvrier, populaire et jeune, le gouvernement vient d’ordonner l’intervention de l’armée à Cali. Nous nous sommes entretenus avec Anna, militante de Cali, membre de la coordination nationale syndicale et populaire.

La revolución educará a sus hijos.

Quelles sont les causes profondes du soulèvement ? 

La mobilisation a commencé le 28 avril, contre les réformes que nous rejetons : réforme fiscale, réforme de la santé, du travail, des retraites. Pour la population, dont la grande majorité est désœuvrée, il n’était plus possible de continuer à accepter ce système. 

Pour donner un exemple qui concerne la santé : il aurait fallu payer 5 millions de pesos pour une assurance santé permettant l’accès aux soins (dont encore une partie est gratuite). Or, le salaire moyen est d’un million de pesos (environ 225 euros). Dans le même temps, Luis Carlos Sarmiento Angulo, président du groupe Aval, la plus grande fortune du pays et très proche de l’ancien président Uribe, a l’intention d’absorber les seuls centres de santé de lutte contre le cancer pour les plus démunis dans ses propres cliniques oncologiques privées ! Ainsi, les plus pauvres n’auraient plus accès aux traitements. C’est aussi ce qui a conduit à dire : « On n’en veut plus »

À cette mobilisation s’est ajoutée celle des jeunes pour le droit à l’éducation. L’État capitaliste ne veut pas de jeunes qui pensent par eux-mêmes, capables de réfléchir à leurs droits, de s’organiser pour leur avenir, etc. La jeune génération aujourd’hui n’a plus rien à perdre et a une combativité sans égale. Cela fait des années que les jeunes demandent la gratuité du « matricule » que tout étudiant doit payer pour s’inscrire à l’université (publique ou privée) avant même de devoir payer des droits d’inscription. 

Outre ces réformes, nous rejetons les assassinats de syndicalistes, de jeunes, d’étudiants et les expropriations de paysans qui durent depuis des années. Le bilan est que nous avons fait tomber la réforme fiscale, la réforme de la santé et le ministre des Finances, Carasquilla. Il nous faut tenir bon jusqu’à ce que soit abrogé le décret 11-74 qui contient les réformes du travail et des retraites. 

Comment le mouvement est organisé ? 

Les piquets de grève sont appelés « points 

de résistance » : à Cali il y en a environ vingtcinq. Les « premières lignes » sont en majorité des jeunes : les piquets se sont transformés en barricades et les jeunes ont confectionné euxmêmes des boucliers pour se défendre face aux attaques policières. Les deuxièmes lignes défendent les premières lignes. Moi, je suis en troisième ligne, pour le soutien logistique, médical, les vivres. Le plus urgent pour nous aujourd’hui, c’est l’organisation et la fédération des points de résistance entre eux. Selon nous, le comité national de grève, qui est supposé être la représentation de l’ensemble des syndicats de travailleurs, d’étudiants, etc. ne nous représente pas. La semaine dernière s’est tenue la troisième assemblée nationale rassemblant pour la première fois des représentants émanant de toutes les « premières lignes » partout dans le pays, des représentations départementales et régionales. Y participent les représentants locaux des organisations syndicales ouvrières officielles et non-officielles, des représentants d’organisations paysannes, étudiantes, enseignantes, de différentes catégories (conducteurs de camions, ouvriers du bâtiment etc.), d’organisations indigènes, etc. C’est une véritable assemblée populaire avec la volonté d’en finir avec les représentants corrompus du comité national de grève. Quand, le 29 avril, au lendemain du début de la grève, les dirigeants qui composent ce comité ont constaté que les masses n’étaient pas rentrées et que les piquets de grève étaient maintenus, ils ont proposé de faire des « piquets de grève virtuels » sur Internet ! 

Comment caractériser le régime en place ? 

Le parlement a rejeté la «motion de censure » contre le ministre de la Défense, qui a donné ordre au commandant des armées et au chef de la police nationale (qui commande notamment les Escadrons mobiles antidésordre, les ESMAD*) de renforcer la répression, entraînant actes de torture, assassinats et disparitions. Le gouvernement d’Ivan Duque n’a rien d’une démocratie, c’est un régime qui assassine, torture les opposants. La corruption a gangréné les institutions, et cela fait quarante ans que les grands patrons, les banquiers, les narcotrafiquants et les ministres gouvernent contre le peuple. Pendant la pandémie, le gouvernement d’Ivan Duque a donné des milliards d’euros au groupe Aval de L. C. Angulo de prêts garantis, tandis que les entreprises ISA et Ecopetrol, dont le capital est détenu à plus de 50 % par l’État, sont menacées d’être privatisées, entraînant des vagues de licenciements et plus de précarité ! Pour toutes ces raisons, la grande majorité de la population est solidaire du mouvement.  

* Unités de choc de la police où se sont recyclés les miliciens des unités paramilitaires. 

Propos recueillis le 29 mai par Luisa Julia Sayani