URGENT

MAROC L’État s’est saisi de la pandémie pour aggraver ses politiques de répression, d’arrestations arbitraires, de coupes dans les budgets même de la santé, et la corruption dans les marchés et les aides consacrées au secteur de la santé

Lettre COI 179 FR

Rapport n° 10

MAROC

Auteur : M. Dahak, syndicaliste enseignement et militant des droits de l’homme

Date : 15 décembre 2020

1/ Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire pour la population – surtout pour la classe ouvrière ? Quel est l’impact de la covid sur l’emploi ? Combien d’emplois ont été́ perdus ?

La pandémie avait des conséquences catastrophiques sur la population marocaine, que ce soit sur le plan politique, économique, social ou culturel.

 Sur le plan politique, l’État s’est saisi de la pandémie pour aggraver ses politiques de répression, des pratiques répressives des autorités, de violence et d’arrestations arbitraires, des coupes dans les budgets même de la santé, et des actes de corruption dans les marchés et dans les aides consacrées au secteur de la santé.

Sur le plan économique, on a gelé presque tous les secteurs économiques vitaux. Le taux de développement a enregistré une réduction allant au-dessous de 0 %, une augmentation de la dette extérieure, avec le recours de l’État à l’endettement étranger à sept reprises seulement sur deux mois, les exportations ont diminué ce qui a accablé le déficit commercial, et la réduction des réserves en devises, et l’incapacité de l’État à couvrir ses importations.

Sur le plan social, une augmentation du taux de pauvreté, le nombre des pauvres est passé à 24 millions de citoyens, parmi lesquels les personnes appartenant aux classes moyennes. On a gelé les services publics de l’enseignement, de la santé, excepté les services qui ont un rapport direct avec la pandémie,

Alors que les conséquences de la pandémie pour la classe ouvrière sont que nombre de travailleurs ont perdu leur travail dans les chantiers de construction et des services, le patronat s’est saisi de la pandémie pour licencier les travailleurs et pour exiger plus de flexibilité et des réductions des salaires, et une diminution des cotisations patronales à la caisse sociale.

En même temps, l’État avait fourni 140 milliards de Dirhams au patronat sous prétexte de la relance économique, alors que des entrepreneurs ont choisi les profits au détriment des vies des travailleurs, ce qui n’avait pas permis au confinement d’aboutir à ses résultats, puisque la pandémie avait connu un grand développement dans des unités industrielles et dans des foyers familiaux des travailleurs, causant la mort des centaines de travailleurs et de travailleuses devant l’incapacité des services sanitaires publics dans ce pays. La pandémie n’a pas épargné le personnel du secteur dit informel dont le nombre des salariés est de 2.4 millions d’ouvriers et ouvrières.

2/ Quels chiffres sont disponibles concernant le nombre des morts des travailleurs en général et tout particulièrement des travailleurs du « premier rang », y compris les docteurs et autres personnels hospitaliers ?

Le nombre des victimes dans le milieu des travailleurs était plus de 1 000 dans le secteur de la santé (médecins, infirmières, techniciens et autres cadres), le secteur de l’enseignement scolaire et supérieur dans lequel plusieurs enseignants ont perdu leur vie, puis le secteur du journalisme, des artistes, des élèves et des étudiants. La jeunesse avait subi de graves conséquences de la pandémie.

3/ Quelles mesures ont été prises ou n’ont pas été prises par le gouvernement pour faire face à la pandémie ? Les patrons et les gouvernements ont-ils imposé des réductions de salaires ?

Le gouvernement n’a fait aucun effort sérieux et de qualité pour qualifier les structures sanitaires de ce pays, la pandémie avait démontré l’impasse des structures de l’accueil, des équipements sanitaires et l’insuffisance des cadres sanitaires, le budget de la santé était passé de 7.2 % à la fin des années 1970 à 5.4 % aujourd’hui, ce qui est loin des exigences de l’OMS qui demande de consacrer 12 % du budget de l’État, et loin aussi des États semblables au Maroc, comme l’Algérie, la Tunisie…

4/ Quelles sont les nouvelles attaques lancées contre les droits ouvriers et la démocratie par les patrons et les gouvernements durant cette année en profitant de la pandémie ?

Le gouvernement et le patronat avaient déchaîné une attaque sur tous les fronts contre les droits économiques, sociaux et démocratiques. Le gouvernement a annulé tous les postes d’emploi qui étaient programmés dans la loi de finances de 2020, sauf les emplois dans le secteur de la santé et de la sécurité, il a approuvé le gel de toutes les promotions des fonctionnaires, et une réduction dans les budgets de plusieurs secteurs, notamment celui de l’éducation, il a annulé le dialogue social et a gelé les protocoles d’accord signés avec les syndicats avant la pandémie. Le patronat s’est saisi de la crise pour licencier les travailleurs et pour se désengager des charges sociales envers la caisse de la sécurité sociale, et a réduit les salaires et demandé plus de flexibilité et également une révision du code du travail et des exonérations d’impôts.

En ce qui concerne les droits démocratiques, le gouvernement a criminalisé le droit de grève, et a fait passer plusieurs lois et projets pour suspendre les manifestations, les rassemblements. Ainsi, le gouvernement a accaparé tout l’espace public et privé.

5/ Depuis des années, le nombre de travailleurs du secteur informel ne cesse de croître. Le combat contre le travail précaire doit amener le mouvement ouvrier à réfléchir à l’organisation de ces travailleurs. Les travailleurs du secteur informel ont payé un très lourd tribut à la crise sanitaire. Quelle est leur situation depuis mars 2020 ? Quelles réactions cela a-t-il enclenché ?

La pandémie a aggravé la situation des salariés du secteur informel, dont le nombre – selon la haute délégation au plan publié en 2018 – est de 2.4 millions de salariés. La majorité de ces derniers, ainsi que leurs familles, n’avaient reçu aucune aide ou indemnité du fonds covid-19, auquel avaient cotisé les fonctionnaires, ce qui a conduit à l’augmentation du taux de  pauvreté qui atteint aujourd’hui 24 millions de marocaines et de marocains. Plusieurs petits et moyens entrepreneurs ont déclaré faillite, alors que les corrupteurs se sont enrichis au détriment de l’argent public.

Les travailleurs du secteur informel ont tenté de résister contre cette situation et de s’organiser, mais la remise en cause et les révisions des droits démocratiques et l’augmentation de la répression les a empêchés. On a assisté aussi à une attaque contre les journalistes et les activistes des réseaux sociaux, et à des peines étouffant les libertés démocratiques et les mouvements sociaux.

6/ Les femmes travailleuses ont également été particulièrement touchées. Elles sont les premières à perdre leur travail, les dernières à retourner dans l’entreprise quand elles rouvrent leurs portes. Elles sont en charge du suivi des enfants privés d’école. Les violences conjugales augmentent avec l’isolement social. Comment cela se manifeste-t-il ? Quelles mobilisations ont-elles eu lieu pour faire valoir les droits des femmes travailleuses ?

Pour la situation des femmes travailleuses : la majorité des victimes de la pandémie étaient des femmes, et surtout des femmes travailleuses, qui ont subi la double répression, celle de la classe de la bourgeoise par des licenciements abusifs, et par l’obligation de travailler dans des unités sans aucune protection et avec des salaires de misère, comme c’était le cas à Lalla Mimouna (région de Kenitra), à Souss-Massa, et dans les zones industrielles à Casablanca, à Tanger et à Fès. Elles ont aussi subi la violence conjugale et familiale, et une dissolution des familles dans des situations difficiles.

7/ Avec les nouvelles technologies, les capitalistes disloquent les relations de travail, restructurent, licencient. Quels sont les effets de cela et quelles sont les menaces qui pèsent dans la prochaine période sur les relations de travail ?

Les patrons et le capital ont trouvé dans la pandémie l’occasion convenable pour se débarrasser des travailleurs et des travailleuses par le recours à la technologie, et aussi pour se désengager des charges sociales, des impôts, et demander des crédits garantis par la trésorerie générale.

8/ Quelle a été la position des organisations ouvrières et de leurs directions durant cette période ? Quelles ont été les revendications ? Quelle a été leur attitude concernant les plans des patrons et des gouvernements ?

Excepté quelques organisations combatives, les autres syndicats ont préféré suivre la paix sociale comme d’habitude, ce qui a conduit à une augmentation de la répression acharnée contre ces organisations combatives. L’État avait écarté les syndicats des structures qui étaient créées pour affronter la crise sanitaire, tel le fonds covid-19, est resté inactif devant l’avidité du patronat et la répression, et malgré tout, le mouvement social et les travailleurs résistent contre la situation malgré la répression et la sauvagerie du patronat.