INDONÉSIE 67% des travailleurs ont été obligés de travailler. Cependant, 25% d’entre eux n’ont reçu de leur usine aucun équipement de protection tel que du désinfectant ni la possibilité de se laver les mains. »
Auteur: Dian Trisnanti, Présidente de la F-SBPI (Federation of Indonesian Unity Trade Union). Date : 25 novembre
1/ Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire pour la population – particulièrement pour la classe ouvrière ? Quel est l’impact de la COVID sur l’emploi, combien d’emplois ont été supprimés ?
Durant l’épidémie de Covid 19, le gouvernement indonésien a pris des décisions politiques qui vont à l’encontre des droits ouvriers.
Vers la mi-mars, le Ministre du Travail a publié une lettre circulaire qui permet de réduire les salaires et de mettre les travailleurs au chômage partiel. Beaucoup de travailleurs en contrat à durée déterminée se sont retrouvés dans des situations encore pires. Ils ont été licenciés sans indemnité. De plus, si on se réfère à une enquête que nous avons menée entre fin mars et début d’avril, 67% des travailleurs étaient quand même obligés de se rendre au travail. Cependant, 25% d’entre eux n’ont reçu de leur usine aucun équipement de protection tel que du désinfectant ni la possibilité de se laver les mains.
Selon les déclarations du Ministère du Travail plus de 3,5 millions de travailleurs ont été licenciés pendant l’épidémie, alors que le KADIN (la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Indonésie) déclarait que leur nombre s’élevait à 6,4 millions.
2/ Existe-t-il des statistiques sur le nombre de travailleurs qui ont perdu la vie, tout particulièrement parmi ceux qui étaient en première ligne, y compris les docteurs et les autres personnels hospitaliers ?
Nous n’avons pas de détails sur le nombre de travailleurs qui sont morts à cause de la Covid-19. Cela dit, pour ce qui concerne les travailleurs de la santé, fin septembre, l’IDI (L’association indonésienne des médecins) indiquait que 228 personnels de santé, y compris des docteurs, avaient perdu la vie à cause de la Covid 19.
3/ Quelles mesures ont été prises par le gouvernement pour faire face à la pandémie et quelles mesures n’ont pas été prises ? Les patrons et les gouvernements ont-ils imposé des réductions de salaires ?
Le gouvernement a mis en place un plan de distribution de denrées alimentaires de base. Cependant, dans les métropoles comme Djakarta, cela a souvent posé problème. Pour recevoir de la nourriture, il faut que les travailleurs aient en leur possession une carte d’identité de résident de Djakarta.
Mais la majorité des travailleurs viennent d’autres provinces. Il leur est donc très difficile d’obtenir la nourriture qui est distribuée. Le gouvernement a également mis en place le plan Kartu Pra-Kerja (carte de pré-embauche). Mais il est très difficile pour les travailleurs d’avoir accès à ce programme, donc le gouvernement dilapide ce budget en pure perte. Au contraire, le gouvernement accorde aux entreprises beaucoup de facilités comme des allègements d’impôts. Mais les patrons continuent à faire ce qu’ils veulent en violant le code du travail.
4/ A quelles nouvelles attaques contre les droits des travailleurs et la démocratie les patrons et les gouvernements se sont-ils livrés cette année en profitant de la pandémie ?
Le gouvernement indonésien profite délibérément du climat d’anxiété pour faire adopter des lois qui menacent les droits des travailleurs sous le nom de « Omnibus Law on Job Creation » (Loi globale sur la création d’emplois). Afin de faciliter l’entrepreneuriat, cette loi apporte des changements à plusieurs lois existantes. L’une des plus controversée est la loi sur l’emploi N° 13/2003. Avec cette nouvelle mouture de la loi, les conditions d’emploi vont être rendues plus précaires. Les manifestations et même de simples discussions contre cette loi font souvent l’objet de répression policière.
5/ Depuis des années, le nombre de travailleurs dans le secteur informel ne cesse d’augmenter. Le combat contre le travail précaire doit amener le mouvement syndical à réfléchir à la manière d’organiser ces travailleurs. Ceux qui travaillent dans le secteur informel paient un lourd tribut à la crise sanitaire. Quelle est leur situation depuis mars 2020 ? Quelles ont été les réactions ?
Durant la pandémie, leur situation a empiré. Les employés de l’industrie du textile qui ont été mis au chômage travaillent pour la majorité d’entre eux dans de petites unités (un atelier qui embauche entre 10 et 50 salariés).
Leur salaire est très bas, en dessous du salaire minimum et les conditions de travail sont très mauvaises. Malheureusement, ils n’ont d’autres choix que de continuer à travailler à des emplois précaires. Quand ils obtiennent un emploi dans une usine textile (secteur du travail formel), ils ont des contrats courts (de 21 à 30 jours) et sont embauchés sous le régime «pas de travail, pas de salaire ». Bien sûr, réussir à ce qu’ils obtiennent leurs droits statutaires fait partie de notre programme. C’est pourquoi nous les organisons et c’est aussi pourquoi éliminer le système du travail précaire et de la sous-traitance est devenu une priorité de notre programme.
6/ Les femmes travailleuses ont elles aussi été particulièrement frappées. Elles sont les premières à perdre leur emploi et les dernières à être réembauchées lorsque leur entreprise rouvre ses portes. Il leur a fallu prendre en charge leurs enfants privés d’école. Les violences domestiques ont augmenté avec le confinement. Quelle forme cela a-til pris ? Quelles ont été les mobilisations pour défendre les droits des femmes travailleuses ?
Dans la zone de KBN Cakung, nous avons mis sur pied un bureau d’aide pour les femmes travailleuses qui leur permet de se défendre contre les violences faites aux femmes telles que les violences domestiques, le harcèlement sexuel, les droits pour les femmes enceintes et les jeunes mères etc. durant la période de la pandémie, nous avons défendu deux cas de violences domestiques et beaucoup d’autres cas qui n’ont pas été déclarés car les femmes ont peur de parler.
Tous les mardis, nous manifestons pour dénoncer ces problèmes, avec l’Alliance du Mouvement des Femmes (Gerak Perempuan) devant la Chambre des Représentants d’Indonésie. De plus, à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes, nous organisons une manifestation avec de nombreuses organisations y compris des syndicats. Cela a aussi lieu à Medan dans la province de Sumatra Nord.
L’alliance des femmes et des syndicats ont appelé à manifester à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes.
7/ Avec les nouvelles technologies, les capitalistes détruisent les relations de travail, restructurent les entreprises et détruisent les emplois. Quelles conséquences cela entraîne-t-il et quelles sont les menaces qui pèsent sur les relations de travail dans la période qui vient ?
Bien sûr, les réserves de main d’œuvre vont croître, par conséquent les salaires vont rester bas. C’est pourquoi les investissements visés par la loi « Omnibus » avec la promesse d’accroître le nombre d’emplois s’avère de moins en moins crédible. Cela va entraîner une diminution du nombre de syndiqués. Et donc, il faut davantage renforcer de larges alliances avec la population.
8/Quelles ont été les positions prises par les organisations ouvrières et leurs directions pendant cette période ? Quelles étaient les revendications ? Quelle a été leur attitude par rapport aux plans élaborés par les patrons et les gouvernements ?
En plus de leur rôle de défense au niveau de l’entreprise sur les licenciements ou les réductions de salaire qui se sont produites, les syndicats membres de Gabrak (mouvement des travailleurs avec le peuple), ont joué un rôle dans la mobilisation des jeunes pour rejeter la loi « Omnibus » soumise au vote de la DPR (la chambre des représentants) en plein milieu de la pandémie. Bien sûr, ce que nous exigeons, c’est que le gouvernement concentre tous ses efforts sur la pandémie. Nous avons fait d’innombrables manifestations en respectant strictement les gestes barrière vu l’urgence de la situation. Cependant, et bien que ce mouvement ait réussi à susciter beaucoup d’enthousiasme dans la population, il faut admettre que nous n’avons pas réussi à empêcher la mise en place du vaste plan gouvernement-patronat pour faire passer la loi « Omnibus ». Cependant, la résistance se poursuit.