ALGÉRIE Paroles d’ouvriers : « L’UGTA appartient aux travailleurs, pas aux affairistes ! »
Reportage exclusif paru dans Minbar El Oummel (Tribune ouvrière, n°11 du 22 avril) sur le rassemblement du 17 avril devant le siège de la centrale syndicale UGTA.
Des milliers de travailleurs ont répondu présent à l’appel national à la mobilisation lancé par les syndicalistes « libres », pour « libérer l’UGTA », « assainir la centrale syndicale » et « redonner la parole à la base en chassant la direction illégitime et corrompue représentée par la personne de son secrétaire général ». Des milliers devant les portes de la centrale syndicale protégée par trois rangs de policiers anti-émeute.

Travailleurs et syndicalistes ont fait le déplacement depuis Bejaïa, Tizi-Ouzou, Tlemcen, Constantine, Oran, Aïnt Temouchent, Biskra et Saïda. Dès 9 h 30, les slogans du mouvement populaire ont été repris par les travailleurs particulièrement « Qu’ils dégagent tous ! », ainsi que des mots d’ordre d’inspiration marocaine et tunisienne .
Les banderoles portaient les noms des entreprises publiques et privées, des sections syndicales « libérées ». Il y avait notamment la section locale UGTA de Kherrata où, le 16 février, une première manifestation monstre donnait un premier signe du refus du peuple du cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Les banderoles portaient des slogans comme : « Pars, ça veut dire tu dois partir, ô voleur de la patrie et traître aux travailleurs ! Sidhoum Said (1) dégage ! »
Beaucoup de sections du secteur productif étaient présentes, les plus importantes étant l’union locale de la zone industrielle de Rouiba avec un gros contingent de la Société nationale de véhicules industriels (SNVI) et de la section mécanique et métallurgie. Les travailleurs de l’ETUSA (transports) étaient aussi bien représentés, ou encore ceux de l’Algérienne des eaux.
Nous rencontrons Mohamed, 31 ans, qui travaille depuis huit ans à l’unité ENMTP (matériels de travaux publics) d’El Harrach : «Je suis ici à l’appel de notre syndicat d’usine. On se bat depuis 2015 pour les empêcher de privatiser notre entreprise. Nous voulons préserver notre outil de travail et des conditions dignes. La direction de l’UGTA a accumulé trahison sur trahison et elle n’est pas représentative des travailleurs, mais plutôt des patrons privés, c’est pourquoi nous demandons le départ immédiat du secrétaire général et de son équipe. L’UGTA appartient aux travailleurs pas aux affairistes… »
Hani, jeune travailleur de l’APMC Bejaïa, a fait le trajet de nuit avec ses camarades pour rejoindre Alger, avec une grande détermination à lutter pour la récupération de l’outil de lutte des travailleurs : « Nous voulons une direction représentative des intérêts des travailleurs et combative, nous exigeons des règles de fonctionnement démocratiques et la fin de la bureaucratie syndicale ! »
l’outil de lutte des travailleurs : « Nous voulons une direction représentative des intérêts des travailleurs et combative, nous exigeons des règles de fonctionnement démocratiques et la fin de la bureaucratie syndicale ! »
Quand nous demandons à Abdelhak, de la SNVI Rouiba, pourquoi il est présent, il répond avec détermination : « Pour qu’ils partent tous, et qu’ils rendent tous des comptes ! ». Ce jeune travailleur ajoute : « Notre bataille, c’est la mère de toutes les batailles, il faut que le syndicat soit représentatif des intérêts des travailleurs, que ce soit l’instrument de nos luttes qui sont permanentes, par exemple, pour relancer la production contre le sabotage calculé qui vise à privatiser l’entreprise et à détruire nos emplois. Nous luttons également pour que les grands patrons rendent des comptes et payent leurs impôts, comme il faut que les voleurs de l’argent public soient punis pour ce crime ! »
Réagissant à ces propos, son collègue de la SNVI, Abderrahim, jeune ingénieur, ajoute : « Si le syndicat est repris par les travailleurs, tout changera. Nous voulons pouvoir développer notre entreprise et pouvoir vivre dignement du produit de notre travail. Nous voyons qu’il y a une volonté de sabotage, les locaux sont quasiment délabrés et laissés à l’abandon, pour pouvoir céder au privé (national et/ou étranger). Nous sommes ici pour dénoncer la corruption de la direction syndicale et son illégitimité, nous voulons qu’ils partent tout de suite et qu’ils rendent des comptes, comme nous exigeons une revitalisation de l’UGTA comme arme pour la lutte de la classe laborieuse et pour la défense du secteur public productif menacé ! »
Un peu plus loin, Abdou, jeune travailleur de l’Algérienne des eaux, affirme, plein d’assurance : « Nous sommes partie intégrante du grand mouvement populaire, de la révolution du peuple, et nous sommes là pour mettre fin aux pratiques mafieuses dans le syndicat, nous réclamons le départ de “Sidhoum Saïd” et de ses associés. Nous voulons que le syndicat soit géré démocratiquement et qu’il se batte pour les intérêts des travailleurs, la pérennité des emplois et la justice sociale. Notre verdict est clair, ils doivent tous dégager ! »
M’hammed, syndicaliste de l’Etusa (l’Établissement public de transport urbain et suburbain d’Alger), nous rappelle les frasques du «grand patron» de la centrale syndicale qui, dès les années 1990, participait au démantèlement du secteur public : « Les sociétés Copemad, Sorécal, la DNC, etc. ont toutes disparu sous l’action de l’actuel secrétaire général et de l’ancien Premier ministre Ouyahia, complices des saignées du FMI. Des milliers de postes ont été supprimés et autant de travailleurs jetés dans la précarité et la misère, nous ne l’oublierons pas. Aujourd’hui, l’Etusa loue des bus privés à un oligarque, proche de Ouyahia, à des prix quatre fois supérieurs à leur rendement ! »
Laissons le mot de la fin à Lyès, salarié à la Caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés (Casnos) : « Nous voulons la refondation de l’UGTA sur des bases saines, créer des cadres représentatifs des travailleurs de la base. Nous demandons la destruction de l’aristocratie syndicale qui contrôle l’appareil et le met au service du système. Nous savons qu’il y a des calculs qui visent à fragiliser le secteur public et à favoriser les assurances privées, par exemple, nous en sommes conscients et on va se battre pour renforcer les acquis historiques du mouvement social en Algérie. »
Reportage de Rachid Belfadel
(1) Jeu de mots sur le nom du secrétaire général, Sidi Saïd (Sidhoum : leur maître).
Hamdaoui Abdelaziz, porte-parole du mouvement de récupération de la centrale syndicale et secrétaire général de l’union UGTA de Béjaïa :
« Seuls les délégués élus auront leur place au congrès ! »
« Nous espérons que ce rassemblement, qui a été une réussite, sera un tremplin pour des actions futures. Je tiens à signaler aussi que nous rejetons les démarches du secrétariat national illégitime. Nous exprimons notre refus par rapport au simulacre de congrès que ce dernier se propose d’organiser comme nous rejetons ses démarches illégales et anti-statutaires (…). Nous allons entreprendre la préparation du congrès extraordinaire (…). Il n’y aura pas de délégué coopté. Seuls les délégués élus y auront leur place. C’est difficile car nous savons bien la signification politique d’une centrale syndicale libre. Je vous rappelle que notre lutte est menée dans le cadre du Hirak (soulèvement) où le social et la démocratie sont liés. »
Noureddine Bouderba :
« Le Hirak syndical vise la réappropriation totale de l’UGTA »
« Certains membres de l’UGTA, qui représentent une partie des structures de cette organisation, veulent juste sacrifier Sidi Saïd, mais les travailleurs veulent récupérer entièrement cette organisation syndicale. Pour y arriver, les travailleurs veulent que le prochain congrès extraordinaire de la centrale syndicale soit préparé par des personnes qui puissent détenir un mandat de la base elle-même (…). Le deuxième point réside dans le fait que nous devons exprimer notre adhésion au Hirak national, et ce, dans un sens qui concrétisera un système où les deux questions, démocratique et sociale, resteront indissociables. »
Propos extraits d’interviews parues dans Minbar El Oummel n° 11, recueillis par Aziz Latreche.