« On criminalise des militants »

La Tribune des travailleurs a interrogé maître Louise Chauchat, l’avocate de Brenda Wanabo, épouse Ipézé. Militante indépendantiste kanak et porte-parole de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), cette dernière est actuellement détenue à Dijon (France).

Quelle est la gravité des faits qui sont reprochés à ces onze militants ?

Ils sont extrêmement graves, par exemple :

« Association de malfaiteurs » ; « Actes de destruction par le feu en bande organisée », etc. Il y a même « Complicité de tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique », qui fait encourir la peine de réclusion criminelle à perpétuité. C’est un peu comme si on leur avait mis sur le dos l’intégralité des malheurs de la Nouvelle-Calédonie et qu’ils en étaient tenus entièrement pour responsables. On a tous été extrêmement choqués de voir les éléments retenus, retenus d’ailleurs pour tous indistinctement et, à mon sens, avec des éléments de preuves qui sont extrêmement faibles et très contestés. Pour ne parler que de Brenda Wanabo, épouse Ipézé, elle est extrêmement choquée, dévastée. Elle ne comprend pas d’où sortent ces accusations d’une telle gravité qui sont portées contre elle : c’est une militante, elle est une militante indépendantiste. Alors, ce qui se passe ne fait que raviver le passé colonial, les tensions des années 1980. Et cela montre encore une fois la façon dont les Kanak sont traités de façon différente.

Une partie des militants mis en détention viennent d’être transférés en métropole : votre réaction ?

Nous avons été extrêmement choqués des annonces sur les détentions provisoires. Brenda Wanabo, épouse Ipézé, elle, a un casier judiciaire vierge. C’est une mère de famille, son dernier enfant vient d’avoir 4 ans. Et il y avait plein d’aménagements qui auraient pu être proposés par la justice. Mais ils ont quasiment tous été mis en détention. Quant au transfert en métropole, il n’en a jamais été question dans les débats (avec les avocats – ndlr). Nous ne l’avons appris qu’une fois que le juge des libertés et de la détention a prononcé la détention provisoire. À ce moment-là seulement, il nous informe que la détention aura lieu en métropole. Cela est présenté comme si on parlait d’un détenu condamné à Paris et qui était transféré à Bordeaux ! Cela a été extrêmement choquant et brutal, un véritable déracinement : on envoie les mis en détention à 17 000 kilomètres de chez eux. Et de même pour les droits de la défense, cela rend les choses extrêmement compliquées. Il faut également rappeler qu’à ce stade ils bénéficient de la présomption d’innocence.

Sur onze militants arrêtés, sept se trouvent déjà en détention provisoire en France, deux ont demandé un débat différé pour freiner leur transfert. Signalons qu’il y a, parmi eux, le fils de Jean-Marie Tjibaou (ancien dirigeant du Front de libération nationale kanak et socialiste – FLNKS), c’est une symbolique très forte pour le peuple kanak. Enfin, deux autres sont sous contrôle judiciaire, dont l’un en raison de son âge.

Ne s’agit-il pas d’une véritable criminalisation de l’action politique, et en particulier de celle des militants indépendantistes ?

Moi, c’est mon ressenti. J’ai eu le sentiment que la justice a répondu à des commandes politiques qui venaient peut-être de très haut. Dans le courrier d’Emmanuel Macron aux Calédoniens, le 18 juin, à la veille des arrestations, il est indiqué : « La situation dans laquelle la Nouvelle-Calédonie a été réduite par quelques-uns demeure inadmissible et ceux qui l’ont encouragée devront répondre de leurs actes. » On a ce sentiment que l’on criminalise des militants. Et qu’il y a une incompréhension du mouvement qui est celui d’un peuple qui revendique son indépendance. Et ce mouvement est multiple : il est politique, il est également social, c’est une révolte de la jeunesse. Et c’est une sous-estimation du nationalisme kanak. 

Propos recueillis le 24 juin