Une volonté de rupture
Bassirou Diomaye Faye a été élu dès le premier tour de l’élection présidentielle avec 54,28 % des voix. Une claque pour le président sortant, Macky Sall, dont le candidat a été balayé, tandis que sa coalition explosait en vol sur fond de dissensions pour l’attribution des concessions sur les nouveaux champs de pétrole et de gaz offshore. Le Parti socialiste sénégalais (qui siégeait au gouvernement, comme le parti «communiste» PIT), recueille moins de 5 % des voix.
Il y a quelques jours encore, Diomaye Faye et son mentor, Ousmane Sonko, étaient emprisonnés avec des centaines d’autres militants et leur parti, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), était interdit.
Fils de paysan passé par l’ENA du Sénégal, syndicaliste puis dirigeant du Pastef aux côtés de Sonko, Diomaye Faye a bénéficié d’une large popularité, notamment dans la jeunesse. La presse a décrit l’élection présidentielle comme un « référendum anti-Macky Sall ». Le mandat de l’ex-président, proche de Macron, a été rythmé par la répression qui a fait des dizaines de morts. Militants du Pastef et panafricanistes ont été jetés en prison par centaines, lors de révoltes populaires exprimant une puissante volonté de changement.
La jeunesse veut vivre dignement de son travail, ne plus être acculée à émigrer au péril de sa vie vers des eldorados illusoires. La vie chère frappe durement travailleurs et jeunes. Les étudiants n’en peuvent plus des bourses versées en retard, du manque de logements. La corruption à tous les niveaux est insupportable. Inspirés par les événements au Mali et au Burkina Faso, travailleurs, paysans et jeunes ont vu dans le Pastef une perspective pour la reconquête de la souveraineté nationale, la rupture avec la « Françafrique », la présence des troupes françaises et le franc CFA, survivances du colonialisme.
Après sa première prise de parole, la presse a salué « un discours rassurant » (Le Peuple) du nouveau président qui, tout à la fois, « promet la rupture et la réconciliation nationale » (L’Express) à ses prédécesseurs, mais aussi aux « partenaires » internationaux. S’appuyant sur une aspiration grandissante au « panafricanisme », il promet une CEDEAO* « plus intégrée », sans toutefois remettre en cause la nature de cette alliance d’États dominée par la France. Le nouveau président a promis de lutter contre la vie chère, mais sans remettre en cause les traités internationaux qui ruinent le pays. Il s’est engagé à bâtir un État « exemplaire » sans corruption, mais a déjà rallié derrière lui le PDS, parti de l’ex-président Wade, et d’autres chefs de cliques nourris des miettes laissées par l’impérialisme français. Une fraction du patronat le soutient, dont le C50PN (« Club 50 % de Préférence Nationale »), espérant accroître les parts de la bourgeoisie sénégalaise en appelant les travailleurs à « travailler plus ».
Le résultat de l’élection présidentielle a donc exprimé une puissante volonté de rupture. Mais pour que cette rupture se matérialise dans la vie, les travailleurs, les paysans et les jeunes devront l’imposer et s’appuyer sur leurs propres forces.
Avec nos correspondants au Sénégal
* Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.
